Une discographie enviable

 

Les Canadiens ont bénéficié de l'une des plus belles discographies de Nana. En effet, pendant six décennies, l'ensemble des ses albums français et anglais y ont été édités. Bien que ses chansons aient été pressées sous une trentaine d'étiquettes, sept principales compagnies y ont assuré la distribution de ses disques. Penchons-nous sur certaines réalisations qui méritent d'être soulignées.

 

QUALITY RECORDS (1962-1963)

À l'automne 1962, le premier disque de Nana est édité et distribué au Canada. Il s'agit de "The Girl from Greece sings", un album enregistré à New York avec Quincy Jones. Quality Records, firme établie à Toronto, en fait presser quelques centaines d'exemplaires suivi du single "Wildwood flower / What now my Love?" qui se classe au palmarès national.

 

LONDON RECORDS (1964-1980)

L'année suivante, London Records prend en charge la distribution de ses disques à travers le pays. Inaugurée en 1948, la compagnie a choisi de s'installer à Montréal pour être en contact avec les deux cultures linguistiques.

Le président fondateur, Fraser C. Jamieson, ainsi que sa conjointe, la vice-présidente, Alice Koury, resteront en poste jusqu'à la fermeture en 1980. Celle-ci travaille en étroite collaboration avec les responsables des différents départements afin de découvrir de nouveaux talents. Son influence a définitivement joué un rôle sur l'arrivée de Nana au sein de leur répertoire d'artistes.

Nana avec Fraser C. Jamieson et Alice Koury.

PREMIERS DISQUES

London décide de suivre le catalogue de France en éditant d'abord les deux 30 centimètres "À force de prier" et "Mes plus belles chansons grecques". Leurs produits francophones se vendent très bien. Jacques Amann et Guy Bertrand, les deux représentants de ce département, sont avides de connaître les nouveautés. À chaque année, au mois d'août, avec le président et la vice-présidente, ils se rendent à Paris pour assister au congrès Philips. Cette firme édite les disques de plusieurs grands noms de la nouvelle Chanson française : Sheila, France Gall, Claude François et Johnny Hallyday. C'est probablement de cette façon qu'ils ont découvert Nana.

L'équipe en charge de la production tient compte du marché et adapte souvent le matériel dont elle dispose. Contrairement à l’Europe, les 25 cm ne sont pas monnaie courante en Amérique du Nord. Aussi, lorsqu'elle veut en sortir un, elle ajoute quatre chansons pour en faire un 30 centimètres. Quant aux super 45 tours, elle édite plutôt un single avec deux titres, comme c'est le cas de "Quatre soleils / Deux pour une chanson" paru en novembre 1964. Sa diffusion sur les ondes des radios québécoises indique qu'il y a un public pour cette voix. Le premier titre devient un succès et on se procure le disque. C'est le prélude de trois réalisations de chez nous.

TROIS RÉALISATIONS

Puisque Nana est attendue pour son premier passage à Montréal en mai 1965, London décide de réaliser un long jeu (LP). Celui-ci regroupe les 10e, 11e et 12e super 45 tours français. L'équipe de marketing de l'époque a du mérite; elle conçoit une pochette originale recto-verso avec des photos reçues d'Europe. S'inspirant de cette production canadienne, en France, on édite un 33 tours formé de trois récents EPs (les 11e, 12e et 14e).

Avant de sortir des nouveautés, London prend modèle sur les derniers disques parus en France. Toutefois, on est conscient que les succès ne sont pas forcément les mêmes qu'au Québec et que d’autres le sont avec un peu de décalage. Ils en tiennent compte, notamment lors de la conception de ses deux albums de 1966.

En France, le troisième microsillon inclut huit des douze titres du dernier album canadien. On conserve donc les quatre nouvelles chansons et on remplace les huit autres par des chansons de ses premiers super 45 tours. On utilise la même couverture et les titres apparaissent sur un fond blanc. Pendant longtemps, ce disque suscitera l'intérêt des inconditionnels. Tout d'abord, parce qu'il inclut plusieurs raretés ne figurant pas sur d'autres 30 centimètres. Ensuite, parce qu'au verso on distingue cinq albums devenus introuvables. Ce 33 tours sera disponible jusqu'en 1980 sans qu'on modifie la pochette.

Pour le quatrième, on remplace trois titres. Tout d'abord, "Un Canadien errant", chant de notre folklore que Nana affectionne particulièrement. Elle l'a interprété l'année précédente dans le spectacle d'Harry Belafonte. Malgré sa réticence, l'équipe de London a finalement consenti à ce qu'elle l'enregistre. Ensuite, "Ce n'était rien c'était mon coeur" et " Ses baisers me grisaient" qui ont été des succès ici. La pochette demeure la même, mais le titre original "Le coeur trop tendre" devient "Un Canadien errant".

Entre temps, London édite ses deux albums américains "The Girl from Greece sings" et "Nana sings", tout comme ceux en allemand, celui en italien et le dernier en grec. De sorte, que pendant quelques années, la discographie canadienne est la plus complète de toutes. Suite à sa première tournée au Québec, en janvier-février 1967, on conserve ses disques grecs et on continue à sortir ceux en français. À partir de 1969, les nouveaux albums anglais s'ajouteront à eux.

COMPILATIONS ORIGINALES

Suite à une restructuration, la compagnie devient London Records of Canada (1967) Ltd.. Au tournant des années 70, les enregistrements sur bande magnétique gagnent en popularité. C'est pourquoi chaque nouvel album est désormais réalisé en trois formats: sur vinyle, sur cassette et sur cartouche 8 pistes. Et, au fur et à mesure que la discographie de Nana se développe, quelques compilations voient le jour. Parmi elles, trois se distinguent par leur originalité.

Il y a d'abord "Le disque d'or", une collection de huit albums d'artistes européens, lancée au cours de la saison 1968 / 1969. Elle inclut les grands succès, le meilleur de chacun. Il s'agit de la toute première compilation francophone de Nana. La sélection des chansons est très représentative puisque neuf d'entre elles sont sorties en 45 tours. Avec tous ces tubes réunis, ses acquéreurs ont raison de le considérer comme le meilleur de ses disques. Après huit ans, il atteint les 50 000 exemplaires et est certifié or.

En 1974 et 1976, paraissent les albums 2 disques "Pleins feux sur...". Le volume 1 est tramé sur le 2 LP français "Grands succès de...", avec 20 des 24 chansons. Cependant, certaines sont des versions en concert. Son arrivée fait légèrement concurrence avec "Le disque d'or", car il reprend les succès de la même époque. Le volume 2, plus inusité, inclut cinq titres disparus du catalogue de France depuis des années. Et c'est la première fois qu'"Un Canadien errant" est repris sur un autre 33 tours. Ce dernier demeure seulement un an sur le marché. Ces deux compilations sont issues d'une série de 22 albums d'artistes français.

BILAN

London Records of Canada cesse ses opérations en 1980, lorsque sa maison mère Decca passe aux mains de PolyGram. Les 17 années pendant lesquelles la compagnie distribue les disques de Nana représentent une période prolifique. Un peu de chiffres: 45 albums (45 LP, 45 cartouches et 31 cassettes), 1 EP et 39 singles. Ses ventes lui méritent 19 disques d'or et de platine. Parmi les chansons les plus populaires de cette époque, on peut citer: "L'enfant au tambour" qui est redemandé à chaque année pendant le temps des fêtes, "Comme un soleil" que Nana interprète dans chacun de ses récitals et surtout "Le temps qu'il nous reste" qui demeure 29 mois dans les palmarès. Du côté anglophone, c'est plus difficile à estimer étant donné le peu de 45 tours sortis dans cette langue. Toutefois, "British Concert", un album public enregistré en Angleterre en 1972, demeure le plus vendu pendant ces années.

 

CACHET RECORDS (1979-1980)

Depuis que Nana a commencé à faire des tournées à travers le pays, en 1975, sa carrière anglophone se développe de plus en plus. Par contre, côté disque, il y a encore à faire. Sans doute pour cette raison et surtout parce qu'elle n'a plus de compagnie aux États-Unis, Nana se tourne vers une nouvelle firme: Cachet Records. Celle-ci, basée à Toronto, se spécialise dans la musique country folk et distribue sur tout le continent nord-américain.

En avril 1979, "Roses & Sunshine", enregistré en Europe, voit le jour avec ce label. Dans les deux pays, une importante campagne de promotion est organisée: publicité télévisée et distribution d'affiches. Le résultat dépasse les attentes puisqu'il devient son album le plus vendu au Canada. Ses 300 000 exemplaires le certifient triple platine. Cette réussite sert maintenant de référence à tous les journalistes qui lui consacrent un article. Ils ne relatent plus les hauts faits de sa carrière sans la mentionner.

En tout, Cachet Records met trois 45 tours et deux albums de Nana sur le marché. Celui enregistré dans la Ville-Reine ne sortira pas, car après quinze mois d'opération, la compagnie ferme ses portes. Toutefois, cela ne l'empêche pas de poursuivre sa conquête du public nord-américain.

 

GRAND RECORDS (1980-1981)

Le succès de son dernier disque lui ouvre les portes du country. En juillet 1980, Nana se rend à Nashville afin d'enregistrer un album avec Larry Butler, célèbre producteur. Celui-ci paraît à la rentrée sous étiquette Grand Records, une autre entreprise canadienne, qui se consacre à la musique contemporaine pour adultes.

Les publicités dans les journaux et les affiches dans les magasins de disques assurent la promotion de "Come with me"; il devient double platine avec 200 000 exemplaires. En entrevue, Nana parle avec enthousiasme de cette production américaine. Elle spécifie qu'évoluer dans sa musique représente un défi, non une ambition. Afin de satisfaire à la demande, Grand Records lance sa version de "Roses & Sunshine" qui trouve 50 000 preneurs.

Après avoir sorti quatre albums et quatre singles de Nana, la firme cesse ses activités. Cachet comme Grand Records, encore à leurs débuts, ne disposaient pas d'un catalogue suffisamment élaboré pour survivre. Cette période de transition avec ces deux compagnies permet à Nana une première percée importante sur le marché américain. Au Canada, elle connaît le pic de ses ventes avec deux albums devenus multi-platines.

 

POLYGRAM (1980-1999)

En 1980, PolyGram, située également sur le Chemin de la Côte-de-Liesse, récupère le catalogue de London Records. Avec cette acquisition, la filiale complète le répertoire international qu’elle dessert depuis son ouverture en 1966, sous le nom de Polydor Ltée..

Dès le mois de septembre, les disquaires reçoivent 20 albums de Nana nouvellement pressés. La société doit attendre jusqu'en 1982 avant de sortir ses nouveautés, car jusque-là elle est sous contrat avec Grand Records. Cette même année, PolyGram achète les droits de diffusion mondiale de toutes ses chansons anglaises.

Depuis la percée anglophone de Nana, la promotion de ce marché se poursuit. En plus de la conception d'affiches, au moins un 45 tours par album est édité. Chacun assure la radiodiffusion des pièces commerciales. Dans l'ouest canadien, surtout, les grands magasins l'invitent pour faire des séances d'autographes. Chacune d'elles est une occasion de rencontrer ses admirateurs. Nana conservera cette habitude pendant des années.

Nana, lors d'une séance d'autographes au Edmonton Centre.

La compagnie s'adapte selon la tendance et la demande. Lors de l'acquisition de la discographie de Nana, ses dernières cartouches 8 pistes paraissent. En 1983, ses premiers CD nous arrivent d'Europe. Tous sont fabriqués en Allemagne. Avec les cassettes, ils prennent la relève après la disparition du vinyle en 1989. Dès lors, toutes ses nouveautés ainsi que plusieurs CD déjà existants sont gravés au Canada. Deux ans plus tard, le siège social est transféré à Toronto. Toutefois, la division francophone demeure à Montréal.

QUELQUES CRÉATIONS

Ses nouveaux produits anglophones sortent d'abord chez PolyGram Canada. Les autres suivent ceux de la filiale des Pays-Bas et des États-Unis. Tandis que ceux en français demeurent fidèles au catalogue de France. Voici quelques-unes de ses créations.

En 1983, après le succès de "Roses & Sunshine", "Come with me" et "Song for Liberty", c'est le temps de réaliser une compilation. Fait intéressant, "When I dream" inclut quatre chansons canadiennes. L'album se vend très bien et demeure dans les palmarès pendant 27 semaines. Une édition promotionnelle est envoyée aux disquaires et aux stations de radio. Sur la couverture, on mentionne que l'album est annoncé à la télévision.

Au cours de la saison 1986 / 1987, "Why worry?", une semi-compilation incluant son méga succès "Only Love", est lancée dans une quinzaine de pays. Au Canada, nous avons droit à un nouvel album complet. "Love me tender" nous fait redécouvrir des airs de Vangelis, Dylan, Presley ainsi que les versions anglaises de plusieurs chansons déjà enregistrées dans d'autres langues.

Au départ, "Classical" est un double album de 20 chansons. Faute d'espace, le CD en compte 18. En septembre 1989, parallèlement à sa tournée canadienne, le 33 tours, la cassette et le CD paraissent en deux unités (Vol.1 et 2). Ces items ne demeurent pas longtemps sur le marché. Mais ils permettent aux fans de se procurer "Dis la nostalgie" et "Dank sei dir, Herr", les deux pièces manquantes du CD original.

En février 1991, "Over and Over", "Spotlight on...", "At the Albert Hall" et "Songs of the British Isles" sortent en CD. Cette exclusivité incite les firmes étrangères à les importer. Il faudra attendre l'anthologie anglaise avant de se procurer les autres albums en format numérique.

BILAN

PolyGram Canada connaît différents présidents. Toutefois, Nana a l’occasion de connaître Peter Erdmann. Il est en poste de 1981 à 1990, sa période la plus prolifique. Ils se rencontrent, notamment, lors de la remise de ses disques d’or.

Pendant 18 ans, la compagnie distribue les disques de Nana avec efficacité. Son catalogue compte: 42 LP, 38 CD (1 maxi-single), 61 cassettes (2 maxi-singles), 3 cartouches, 24 singles (11 promotionnels) et 2 cassettes vidéo. Dès le départ, la filiale a assuré la continuité de London en tenant compte de ce que Cachet et Grand Records ont réalisé. Elle a également fait preuve d'initiative, notamment en éditant des chansons exclusives et en élargissant son répertoire de CD. Pendant cette période, Nana reçoit 8 disques d'or et de platine. Les albums les plus vendus sont "Je chante avec toi liberté" et "The very best of - Only Love". Les 45 tours: "Oublie que j'ai de la peine" et "Chanter la vie".

Nana avec Peter Erdmann.

CARRÈRE (1985)

Le rattachement de Nana avec Carrère s'avère bref mais bénéfique. Il est dû à la bande originale de la série télévisée "L'amour en héritage" parue sous cette étiquette. Elle y chante le thème principal. Selon le palmarès de RadioActivité, le 45 tours est classé sixième plus grand succès francophone de l'année 1985 au Québec.

 

UNIVERSAL (1999-2017)

Au cours de 1998, le groupe Seagram se porte acquéreur de la maison mère Polygram N. V. et crée Universal Music Group. La mutation de la filiale canadienne a lieu en février 1999 et n'a aucune incidence sur la distribution des disques de Nana. La nouvelle société suit le marché avec ses derniers albums et les compilations qui se font de plus en plus nombreuses. Quatre en particulier attirent l'attention des collectionneurs.

Tout d'abord, "Gold" qui porte bien son nom. Cette sélection bilingue bénéficie d'une promotion télévisée pendant plusieurs mois et devient disque d'or. Ensuite, "The best of - 20th Century Masters - The Millenium Collection" conçue pour les Canadiens anglais. Elle est issue de la collection de grands succès la plus populaire au pays avec 600 titres. Également, une version de la série 2 CD "Gold". La pochette comme le contenu diffèrent de l'édition française. Celle du Canada nous offre une photo de Nana en gros plan. Plus bilingue, elle inclut 25 chansons distinctes. Puis, "Green Series - The best of", un digipack ouvrant imprimé avec du matériel recyclé, destiné aux deux marchés canadiens.

La collection la plus intéressante demeure "Un Canadien errant / A Canadian Tribute" lancée en juillet 2004, juste avant la participation de Nana aux FrancoFolies de Montréal. Dans celle-ci, on retrouve la presque totalité des chansons canadiennes qu'elle a enregistrées au cours des années. Sur les autocollants de l'emballage, on mentionne les noms de Jean-Pierre Ferland, Daniel Lavoie, Leonard Cohen, Neil Young, Joni Mitchell et Gordon Lightfoot. Au verso, on qualifie cet album de témoignage émouvant d'une histoire d'amour entre un grand pays et une grande artiste. Une publicité télévisée vient appuyer sa mise en marché.

BILAN

Depuis l'acquisition de PolyGram, Universal Music Group est devenue la plus grande compagnie de disques au monde. Implantée dans 75 pays, elle poursuit son œuvre en s'adaptant avec les nouvelles technologies. Après la disparition des cassettes et la baisse des ventes des CD, elle approuve l'achat de musique en ligne. Même si ses nouveautés se font plus rares, Nana fait toujours partie de son catalogue. Sous la bannière d'Universal Canada, il compte 19 CD, 1 cassette et 4 DVD.

 

CONCLUSION

Depuis plus de 50 ans, Nana Mouskouri est devenue un grand nom de la musique à travers le pays. Que ce soit Quality, London, Cachet, Grand, PolyGram, Carrère ou Universal, chaque compagnie a joué un rôle, autant dans la diffusion qu'à l'accessibilité de ses chansons. De plus, ses quelques 500 items en font une discographie enviable et la troisième en importance dans le monde après celle de l'Allemagne et de la France.